La blockchain, cette technologie de registre distribué, est souvent présentée comme une innovation majeure dans des domaines variés : logistique, chaîne d’approvisionnement, gestion documentaire ou propriété intellectuelle. Dans le champ des achats, elle ouvre des perspectives concrètes en matière de transparence, d’automatisation contractuelle et de fiabilité des audits. Mais entre promesses et réalité, son intégration reste complexe et soulève encore plusieurs défis techniques, organisationnels et juridiques. Cet article examine les cas d’usage possibles de la blockchain dans les achats, ses bénéfices, les obstacles actuels et quelques pistes stratégiques pour les organisations françaises.
Qu’est-ce que la blockchain, en quelques mots ?
La blockchain est une technologie de registre distribué qui permet d’enregistrer et de sécuriser des informations de manière transparente et infalsifiable. Chaque bloc contient un ensemble de données horodatées, liées entre elles pour former une chaîne continue et vérifiable. Le registre est partagé entre plusieurs participants, ce qui garantit l’intégrité des informations sans recourir à un intermédiaire central. La blockchain permet également d’utiliser des contrats intelligents (smart contracts), c’est-à-dire des mécanismes automatisés qui s’exécutent dès qu’une condition prédéfinie est remplie, par exemple, la validation d’une livraison déclenchant automatiquement une étape administrative ou logistique.
Dans le domaine des achats, la blockchain peut être publique (ouverte à un large réseau de participants) ou permissionnée / privée (réservée à des acteurs autorisés), selon le niveau de confidentialité, de sécurité et de contrôle recherché.
Cas d’usage de la blockchain dans les achats / procurement
Différents types de technologies blockchain cherchent à assurer la transparence de la chaîne de contrôle, pour garantir une confiance totale dans le système. On peut la considérer comme une version du XXIe siècle des lettres de crédit qui soutenaient les échanges commerciaux à l’époque mercantiliste.
Traçabilité et provenance des produits : Chaque étape du cycle d’approvisionnement, de la production au transport jusqu’à la livraison finale, peut être inscrite dans la blockchain. Cela garantit une visibilité complète sur l’origine des produits et renforce la confiance dans les chaînes logistiques. Des solutions comme Hyperledger ou des blockchains permissionnées sont déjà utilisées pour réduire les fraudes liées à la falsification de certificats d’origine.
Automatisation via les smart contracts : Les smart contracts permettent de déclencher automatiquement certaines actions dès qu’une condition est remplie : par exemple, le paiement d’un fournisseur dès confirmation de livraison, ou la validation automatique d’une commande conforme. Ces mécanismes sont déjà testés dans des environnements procure-to-pay basés sur blockchain, afin de réduire les délais et erreurs administratives.
Sécurité et immutabilité des données : Les transactions inscrites sur la blockchain sont infalsifiables. Cela protège les données achats contre toute modification a posteriori et renforce la fiabilité des registres financiers. Une étude récente propose d’intégrer une blockchain privée à la gestion d’actifs d’entreprise, avec des QR codes permettant de suivre chaque bien acheté.
Réduction de la fraude et des coûts de réconciliation : En remplaçant les échanges de documents manuels par un registre unique et partagé, la blockchain limite la double facturation, les divergences entre systèmes et les fraudes internes. Des prototypes académiques ont montré qu’un système d’e-procurement fondé sur blockchain améliore la fiabilité des données et réduit les coûts de vérification.
Audit et conformité réglementaire : Les registres horodatés et immuables simplifient considérablement les audits. Dans le cadre des marchés publics, la blockchain pourrait servir à prouver le respect de critères de durabilité ou d’origine, tout en facilitant la production de preuves de conformité pour les autorités de contrôle.
Bénéfices attendus
Transparence et confiance accrue : Tous les acteurs (acheteur, fournisseur, auditeur) peuvent avoir accès à des données vérifiables sans dépendre d’un intermédiaire central.
Gain d’efficacité opérationnelle : Automatisation des étapes (validation, paiement), suppression de certaines tâches manuelles et de réconciliation.
Réduction des risques de fraude et erreurs : Les données étant immuables, les manipulations après coup seront difficiles.
Meilleure traçabilité et réponse aux exigences durables : Dans un contexte de responsabilité environnementale, pouvoir tracer les composants, matériaux, conditions de production.
Audits simplifiés : Les auditeurs peuvent vérifier directement les enregistrements horodatés, sans recourir à des intermédiaires ou à des reconstitutions complexes.
Obstacles et limites
Si la blockchain suscite un fort intérêt dans le domaine des achats, son intégration reste complexe et soulève plusieurs défis majeurs. La confidentialité des données demeure l’un des principaux enjeux. Les informations sensibles, coûts, marges, conditions contractuelles, ne peuvent être accessibles à tous les participants d’un réseau distribué. Les solutions les plus viables reposent donc sur des blockchains permissionnées, combinant chiffrement et contrôle rigoureux des accès. L’interopérabilité entre les systèmes existants et les technologies blockchain reste également limitée. Les plateformes d’e-procurement et les ERP doivent pouvoir échanger des données de manière fluide, or il manque encore des standards communs pour assurer cette communication. Cette absence de normalisation freine la généralisation des projets. À cela s’ajoute la complexité technologique. Déployer une blockchain, ou même l’intégrer à une infrastructure achats existante, requiert des compétences spécialisées, des investissements importants et une phase pilote solidement encadrée avant tout déploiement à grande échelle.
Sur le plan juridique, le cadre réglementaire reste en évolution. La France poursuit la structuration de sa législation relative à la blockchain et aux contrats intelligents, mais certaines questions demeurent ouvertes, notamment sur la valeur probante des enregistrements numériques et la portée légale des automatismes contractuels. Un autre obstacle tient à la dimension humaine et organisationnelle. Les équipes achats restent souvent attachées à des pratiques traditionnelles, reposant sur la hiérarchie et le contrôle manuel. L’adoption d’un système distribué et automatisé suppose une transformation culturelle importante, soutenue par la formation et l’accompagnement au changement.
Enfin, la question de la performance et de la scalabilité se pose. Pour les organisations traitant un grand volume de transactions, marchés publics ou achats industriels complexes, certaines solutions blockchain peuvent atteindre leurs limites en matière de vitesse de traitement et de capacité opérationnelle. En somme, si la blockchain ouvre la voie à une nouvelle ère de transparence et de confiance dans les achats, son déploiement doit rester progressif, pragmatique et coordonné entre acteurs techniques, juridiques et opérationnels.
Cas de recherche ou prototype à retenir
Private Blockchain-based Procurement and Asset Management System with QR Code : une étude récente propose un système où chaque actif acheté est suivi via QR codes et inscrit sur une blockchain privée, permettant audit, traçabilité et responsabilité accrue.
Évaluation de systèmes e-procurement basés blockchain : une étude comparative souligne que l’utilisation de la blockchain dans les systèmes d’achats électroniques peut réduire les risques de manipulation interne et augmenter la fiabilité des données.
Ces travaux sont encore souvent au stade prototype ou académique, mais ils montrent la direction vers laquelle pourrait aller le secteur.
Perspectives & tendances pour la France
En France, le cadre réglementaire autour de la blockchain se consolide progressivement. Les autorités publiques s’efforcent de poser des bases légales claires pour encadrer l’usage de cette technologie, tout en favorisant son intégration dans les secteurs économiques stratégiques. Cette structuration crée un environnement plus propice au déploiement d’applications concrètes dans les achats publics et privés.
Parallèlement, l’écosystème français de l’innovation demeure particulièrement dynamique. De nombreuses entreprises technologiques et acteurs spécialisés développent des solutions fondées sur la blockchain, notamment pour la traçabilité, la sécurisation des transactions et l’automatisation contractuelle. L’adoption dans le secteur des achats devrait suivre une trajectoire progressive, les premières expérimentations ciblant des domaines précis, par exemple la gestion d’actifs critiques ou la certification d’origine, avant une extension graduelle à d’autres catégories selon les résultats observés.
À moyen terme, la convergence entre blockchain et Internet des objets (IoT) apparaît comme une évolution naturelle : l’intégration de capteurs connectés permettra d’enregistrer automatiquement, en temps réel, les étapes clés du cycle d’approvisionnement, de la production à la livraison. À plus long terme, la blockchain pourrait devenir une composante essentielle du procurement responsable, en s’intégrant aux démarches d’économie circulaire. Grâce à sa transparence et à la fiabilité de ses enregistrements, elle pourrait constituer une véritable infrastructure technologique de l’achat durable et éthique, conciliant performance opérationnelle, traçabilité et responsabilité environnementale.
Sources:
France Takes Pioneering Step in Recognizing Blockchain Time-Stamping as Proof of Authorship in Intellectual Property
Blockchain-based System Evaluation: The Effectiveness of Blockchain on E-Procurements
https://arxiv.org/abs/1911.05399
Top Blockchain Companies & Developers in France
